vendredi, avril 20, 2007

Sophonisbe, Une reine de la Dignité


Notre histoire a été jalonné de récits tragiques d’événements sanguinaires, de génocides, de guerres, que nous avons fini par oublier. Mais il reste des noms, des hommes et surtout des femmes qui malgré l’horreur qui les entouraient ont fini par rayonner et redonner aux valeurs humaines tout leur sens.

Ainsi été Sophonisbe, issue de la famille des Barcides qui s’est sacrifiée dans sa vie et jusqu'à la mort pour sa patrie, Carthage. Elle a préféré se donner la mort plutôt que de se livrer aux Romains, elle a préféré mourir pour son pays que de se laisser amadouer par les Romains. Notre Histoire n’a retenu que quelques noms.

Cet écho à notre lâcheté en tant que peuple souverain devrait nous rappeler que rien n’est acquis sans le sacrifice et que la gloire n’est pas dans le contentement.

A vous, Sophonisbe, Didon, El Kahina, je me souviendrais jusqu'à mon dernier souffle de votre quête d’idéal et surtout de Dignité Humaine .

4 commentaires:

david santos a dit...

I come to desire to you a weekend happy. thank you

Aziz a dit...

thanks David i wich you a good week-end as well.

Roumi a dit...

Mon cher Aziz, j’ai lu ta note avec intérêt et je ratifie tes deux derniers paragraphes.

Cela étant dit, tu sais qu'en tant qu'historien, j'ai le rôle ingrat de détruire les mythes ou versions trop idylliques de la réalité. Je me vois donc dans l'obligation de revenir sur la mort de Sophonisbe et d'y apporter quelques précisions.

Le récit de sa mort est connu uniquement par Tite-Live, dans un passage de son œuvre Ab urbe condita libri (Histoire de Rome depuis la fondation), écrite autour du changement d’ère chrétienne, c'est-à-dire près de deux siècles après les évènements relatés. Il faut souligner le but de l’historien Tite Live : mettre en valeur l’histoire de Rome et montrer comment on en arrive progressivement au régime mis en place par Auguste, le protecteur de Tite Live. Cet ouvrage historique est donc en partie une œuvre politique avec des partis pris idéologiques. C’est aussi une œuvre littéraire avec figures de styles, exercices de rhétorique, théâtralisation du récit, …
En replaçant l’épisode de la mort de Sophonisbe dans cette perception globale de l’œuvre, on peut faire quelques remarques intéressantes :

- le discours de Sophonibe est une invention de Tite Live. Les historiens de l’antiquité inventent les discours de leurs personnages. Dans le meilleur des cas, ils réécrivent des discours qu’ils ont pu lire… c’est le cas de discours officiels, prononcés devant des assemblées publiques ou dans des tribunaux. On peut ainsi, par exemple, comparer un discours de l’empereur Claude, prononcé devant le Sénat romain en 48 ap. J.-C., partiellement réécrit par l’historien Tacite avec une version officielle gravée sur des plaques de bronze à Lyon. Pour ce qui concerne Sophonisbe, il est fort douteux que Tite Live ait pu trouver un document reprenant les paroles de la reine car il ne s’agit pas d’un discours officiel ; il se contente alors d’imaginer ce que Sophonisbe aurait pu dire avant de mourir ; la preuve en est que ce discours est écrit dans le plus pur style oratoire romain et qu’une reine carthaginoise ne s’exprimerait pas en ces termes. Ce discours est avant tout une démonstration du talent rhétorique de Tite Live, selon un procédé classique dans l’antiquité. L’historien est rhéteur, écrivain de talent, … Un récit historique est une œuvre littéraire… ainsi s’entremêlent des techniques qui nous semblent aujourd’hui incompatibles avec la rédaction d’un travail historique.

- outre l’exercice stylistique que réalise Tite Live à travers ce discours inventé, il faut y voir un souci de théâtralisation du récit, donner de l’emphase, exagérer les traits, bons ou mauvais des protagonistes, faire de l’histoire un récit tragique et exemplaire. L’œuvre de Tite Live était vouée à devenir la référence historique des Romains ; Tite Live y a mis toute son énergie, tout son talent littéraire pour faire de son œuvre historique la plus marquante de celles existantes et à venir.

- l’histoire est une discipline fondamentale dans l’antiquité, même si elle n’est pas réalisée selon nos normes actuelles en matière de rigueur scientifique. A travers l’histoire, on inculque aux jeunes nobles de l’antiquité les valeurs exemplaires de leurs illustres ancêtres, valeurs qui devront les guider quand eux-mêmes seront adultes et occuperont les responsabilités au sein de leurs familles ou de la cité… on leur apprend à travers des modèles les comportements à adopter dans telle ou telle circonstance. Dans ces conditions, l’écriture de l’histoire est bien souvent à l’époque une interprétation très orientée, moralisante, insistant beaucoup sur le comportement des individus et même sur leurs traits physiques, censés reflétés leur moralité (pour schématiser : un individu pervers a de multiples imperfections physiques tandis qu’un individu parfait sur le plan moral l’est tout autant sur le plan physique), comportements que l’on n’hésite pas, bien souvent, à créer de toute pièce par rapport à des a priori favorables ou défavorables.

- Sophonisbe est ici valorisée par Tite Live, c'est-à-dire par un Romain… nous n’avons donc ici que le point de vue du « vainqueur ». Il faut toujours garder cela à l’esprit. Le vainqueur écrit librement l’histoire et lui fait dire ce qu’il veut, dans la mesure où il ne peut plus y avoir de réelle contestation historique. Ainsi l’histoire de l’empire romain est écrite par des Romains et non par des individus des provinces conquises, exceptions faites des Grecs qui ont su maintenir fortement leur culture et qui ont fourni de nombreux historiens, une culture qui fascinait les Romains. On pourrait alors dans ces conditions se demander pourquoi Tite Live valorise Sophonisbe dans son récit… car il aurait pu choisir de faire exactement l’inverse ; d’autres souverains qui meurent s’en s’être livrés à Rome apparaissent plutôt comme des lâches dans les écrits romains. En réalité, Sophonisbe est ce qu’on pourrait appeler du « pain béni » pour le récit Tite Live : une reine, une ennemie, une femme… une femme qui tient tête à un roi et à Rome par la même occasion… un suicide… Rome a besoin pour construire son image de travailler l’image de ses ennemis… tantôt on en donne l’image de « barbares » infâmes, lâches, mettant en valeur les bienfaits de la civilisation romaine… tantôt on en donne l’image d’ennemis raffinés, courageux, exemplaires, afin de souligner les mérites de Rome dans sa victoire contre de tels ennemis… la réalité globale se trouve évidemment en général plutôt dans une appréciation médiane des individus, tant ceux qui sont vus comme médiocres que ceux qui sont vus comme exemplaires… mais l’historien romain aime accentuer les traits, soit en mal soit en bien… ainsi les traits devant qualifier la barbarie sont-ils exagérément développés… ainsi les traits devant valoriser l’ennemi le sont tout autant… avoir des ennemis médiocres justifie le fait qu’on veuille les conquérir… avoir des ennemis de grande qualité souligne les grands mérites que l’on a eu à les vaincre… Sophonisbe appartient à cette seconde catégorie… sa figure est mise en avant par le vainqueur lui-même, travaillée, développée, exagérée, … afin de mieux souligner en définitive la grandeur de Rome. Si l’image de Sophonisbe est si belle, ce n’est pas pour faire plaisir au vaincu ou à ceux qui se revendiqueraient comme ses lointains héritiers mais bien pour flatter le vainqueur ! Ainsi quand on suit inconsciemment la direction voulue par le vainqueur, c’est le vainqueur que l’on valorise en réalité. Sophonisbe, par la grâce des Romains, devient grande figure tragique et exemplaire non pas forcément par un reflet exact de la réalité, que nous ignorons (hormis la mort même de la souveraine) mais avant tout pour flatter les Romains. La Sophonisbe que nous connaissons à travers l’unique source disponible n’est paradoxalement plus réellement la reine carthaginoise mais plutôt une héroïne tragique romaine ; elle n’est plus une « réalité carthaginoise » mais plutôt un « mythe romain ». Ce qui est intéressant de voir aujourd’hui, c’est que ces « mythes romain », c'est-à-dire ces images des vaincus travaillées par les Romains eux-mêmes, font le chemin inverse, redevenant une vision de « la réalité carthaginoise » mais il faut prendre garde de ne pas exploiter ces sources sans faire un effort de distanciation, effort qui doit être systématique (on a dit par exemple qu'on doit lire avec une certaine distance certains jugements négatifs sur les Carthaginois ; on doit lire avec la même rigueur les jugements positif car tout est "construction" historique dans l'antiquité... tout s'inscrit dans une logique qu'il convient de déterminer avant d'exploiter telle ou telle source).

Je terminerai ce commentaire en soulignant un point fondamental. Il est certain que l’histoire est une somme d’événements heureux et malheureux, dont certains sont particulièrement sanglants et tragiques, nés de la confrontation de diverses cités, de divers Etats, … cette mémoire, on doit la conserver intacte en nous, cela va de soi… mais cette mémoire ne doit pas être sélective et orientée… un Tunisien ne peut pas s’identifier plus à Sophonisbe qu’à Scipion, à Didon plus qu’à Enée, à la Kahina plus qu’aux Arabes, … comme beaucoup de peuples, comme les Français par exemple, les Tunisiens portent en eux l’identité millénaire du colonisé et du colon, … nos cultures actuelles sont le fruit de ces confrontations parfois sanglantes, le fruit d’une fusion entre l’apport de l’envahi et celui de l’envahisseur. Nous portons tous en nous à la fois l’identité culturelle de la victime et du bourreau ; quand on met en avant des parts de nous même, on les oppose en réalité généralement à d’autres parts de nous même. Le Français qui opposerait une identité celtique à une identité romaine ou encore celle d’une identité gallo-romaine à une identité germanique, opposerait une part de lui-même à une autre part de lui-même, les deux étant tout aussi fondamentales dans la construction de son identité culturelle. De même le Tunisien qui oppose Carthaginois et Romains, arabes et indigènes (ceux-ci étant de multiples origines, parfois eux-mêmes anciens colonisateurs, et pas forcément présents depuis très longtemps), oppose deux facettes de son identité. Pour moi donc Sophonisbe n’est donc pas un véritable modèle car l'ériger en modèle revient à la confronter à autre chose, en l'occurrence Rome, dont nous sommes tout autant les héritiers culturels ; en fait si on oppose deux facettes de sa propre histoire, on risque la schizophrénie ; il est important d’admettre que notre identité est complexe et que nous portons en nous ces contradictions, cette complexité. Les confrontations de l’histoire sont des drames mais ces drames ont constitué une identité reposant sur l’addition culturelle de principes hérités de chaque protagoniste. On ne doit donc pas regarder l’histoire simplement comme un concept de « confrontations » successives mais aussi comme un concept de « rencontres » successives qui ont construit quelque chose dont on est le résultat temporaire. On insiste malheureusement trop sur le premier concept, le plus évident, le plus simple et le plus intéressant dans le cadre d’une histoire nationale, et on en oublie généralement le second, bien plus subtil, enrichissant sur le plan intellectuel et approchant de la réalité de ce que nous sommes tous, c'est-à-dire des êtres d'autant plus riches qu'ils ont de multiples facettes culturelles à leur identité, d'autant plus paradoxaux que ces facettes sont l'héritage de gens qui se sont combattus avant de créer des sociétés originales nées de ces rencontres.

Aziz a dit...

Merci Roumi pour ces précisions qui sont comme toujours les bienvenues et ca me fait toujours énormément plaisir de te lire!!


J'aimerais juste mentionner deux points :

1- Concernant la véracité de la reine Sophonisbe en tant que personnage historique on peut s'entendre pour dire que les faits prouvent son existence. On sait aussi que elle s'est donnée la mort comme Hannibal l'a fait pour échapper aux Romains. C'était disons communs a l'époque. C'est ca qui me fascine.

2 Pour ce qui a trait à l'identité dont tu parles. Je suis totalement d'accord avec toi sur plusieurs points que tu as soulevé.

Par contre l'identité tunisienne contrairement à celle de la France ne se base pas sur ces origines mais sur les trois principes de la République. Les Francs qui ont donc été les investigateurs disons de la France tel que nous la connaissons ont également permis a ce que l'identité française se forge. La Tunisie ou du moins son identité serait pour moi à comparer à celle des Grecs. Nous avons toujours été colonisés dans un sens et il est clair que l'identité romaine de la Tunisie est celle du colonisateur même si les Romains de l'Ifriqiya avaient certaines coutumes propres. L’Histoire et les civilisations ne fonctionnent pas en couches mais bel et bien en un sorte d'ajout dans la soupe existante ;-) notre identité se base sur nos origines et non pas sur des valeurs universelles. Donc la France ne serait pas un bon exemple à prendre.